So long, Madiba, que le paradis te soit doux…
C’est une amie qui me l’a dit, au téléphone.
Il était 23h, je marchais dans une rue à Paris, la pluie commençait de tomber et j’allais prendre le métro pour rentrer chez moi.
Peut-être que tout le monde se souviendra
de là où il était, et de ce qu’il faisait,
quand Mandela est mort.
Ce sentiment de manque, soudain, comme une place à côté de soi qui serait d’un coup vide, comme une lumière qui s’éteint.
Tellement étrange de perdre un ami si proche quand on l’a jamais rencontré.
J’ai pas pris le métro. J’ai continué de marcher. Jamais j’aurais cru que je vivrais le départ de Madiba à Paris, moi qui ait, comme tant d’autres, passé le plus clair de mon temps à veiller le grand-père de l’Afrique au printemps dernier. A Joburg. A Pretoria. Et même dans son village natal, Qunu, au sud du Lesotho.
A l’époque où le moindre bulletin de santé alarmiste faisait arriver en une nuit une nuée de journalistes du monde entier. Quand les débats tournaient autour du lieu de sa tombe, ou de s’il fallait le débrancher.
(pour mémoire, cliquez là : Madiba)
Oui, j’ai passé tellement de temps là-bas, tout au sud de l’Afrique et du monde,
que d’abord j’ai eu l’impression que c’était déjà arrivé, sa mort.
Que le cirque médiatique, si prompt et si leste à raconter les icônes, et à en tirer toute l’émotion comme on presserait une orange,
avait beau avoir déjà essoré la sienne,
il allait se remettre en branle, et tout emporter.
Alors je voulais prendre un peu de temps, avant que tout ça n’arrive,
et j’ai continué de marcher avec mon ami à peine disparu.
La pluie tombait en bruine, ça isolait les passants, et j’étais comme étonné que le monde se soit pas plus arrêté que ça.
Les café étaient remplis, les gens riaient, se pressaient ça et là. Mais rien ne disait qu’il savaient.
Je me suis demandé comment c’était à ce moment-là
dans ma rue, à Dakar.
J’imaginais les conversations, les hommes et les femmes qui sortent dans la rue pour se mêler – histoire d’emporter le souvenir du mort, et d’un peu déjouer la faucheuse. Souvenirs d’enterrements en Afrique, de cette affirmation muette et joyeuse, en dernier hommage au mort, que la vie est plus forte que son contraire.
Des images affluaient. Au premier rang desquelles la photo de mon ami Chris Ledochowski, qui vit au Cap, et qui était à quelques mètres de Mandela, le 11 février 1990, quand il a prononcé son premier discours, juste après sa sortie de prison.
(et pour l’audio c’est là : « notre-marche-vers-la-liberte-est-irreversible »)
Je repensais à son poing levé, et à son sourire, quelques heures avant, alors qu’il quittait Roben Island avec Winnie, sa femme. A ses mots, que m’avait rapporté il y a trois ans un ancien militant de l’ANC torturé par le régime à tel point qu’il en avait cassé ses dents :
« Il a dit de rendre les armes. Il a dit de pardonner… »
Je repensais à cet homme qui est sans doute l’un des seuls dirigeants africains à ne s’être pas accroché au pouvoir, à ne pas en avoir fait son jouet. L’un des seuls à n’avoir fait qu’un seul mandat.
Je repensais aux instituteurs de Dakar qui à l’époque, chaque matin, commençaient la classe en écrivant sur le tableau :
« L’apartheid est un crime contre l’humanité ».
Je repensais à ses chemises indonésiennes, à son sourire inimitable, ce truc qui diffusait de la paix, je repensais à sa classe de grand échalas et à ses cheveux poivre et sel.
Qui sait ce que sera le monde,
maintenant que Rolihlahla,
« celui pose des problèmes »,
n’est plus là pour croire et dire qu’on peut les résoudre ?
Quand une bougie s’éteint, il fait soudain bien noir et aujourd’hui je me suis réveilé et j’ai vécu comme tout seul. Vraiment étonné que ça soit si proche, même aussi loin de là-bas. J’ai eu besoin de parler, de me faire raconter, de partager ça avec d’autres. Besoin, moi aussi, d’éloigner un peu la faucheuse
– des fois qu’avec le sage elle parvienne à emporter sa sagesse, son désir de paix, et sa capacité à pardonner, à accueillir l’autre
pour et malgré tout ce qu’il est,
et tout ce qu’il a fait.
Ce soir le monde va s’endormir sans son grand-père pour le deuxième soir de suite…
Allez, je vais sortir, histoire de me secouer la tristesse.
Histoire de rire, et de parler, histoire de laisser tout ça aller.
So long, Madiba, que le paradis te soit doux.
Tu vas nous manquer…
Ou pour le dire en musique, avec la plus grande… :
Ps : et si vous voulez lire le très beau texte que Christiane Taubira a écrit à notre ami sur le Huffington Post, ben y a qu’à demander, c’est là :