«Accepter l’inévitable…»
Déjà la troisième fois en trois mois que je me rends au chevet du grand-père de l’Afrique
– et ces jours-ci du monde entier…
Après être allé à Mvezo,
son village natal, longues collines vertes et cases rondes multicolores,
puis devant l’hôpital
où il se bat contre la faucheuse, à Pretoria – ou plus exactement dans le quartier au nom chantant de « Sunnyside »
(ne pas se laisser prendre, tout le monde vous dira que c’est l’un des plus pourri de la capitale sud-af),
me voici à Soweto,
à attendre dans l’une des rues les plus célèbres du monde,
là où Mandela a habité avant son arrestation
(la seule rue du monde à avoir accueilli deux prix nobel de la paix, comme le clament ici les affiches, puisque Desmond Tutu y a lui aussi une maison).
L’ambiance y est détendue, les enfants jouent au foot, d’aucuns chantent ça et là, on vous salue d’un récurrent et amical « how is it ? »,
et partout, il y a des télés, des radios, des photographes,
qui s’affolent à la moindre rumeur (et elles sont nombreuses, ces jours-ci)
et qui cherchent à se mettre quelque chose sous la dent pour tromper l’attente interminable.
Et chaque fois, ce mot me fait tiquer :
« attente« .
Puisque c’est ce même mot qu’on ne cesse de nous balancer à la gueule, à nous les journalistes
– qui sommes forcément des vautours,
puisque nous sommes là.
Et la question fatidique de revenir, encore et encore, avec une pointe d’ironie de bon ton
dans la bouche de notre interlocuteur, qui lui est au-dessus de tout ça :
« Alors comme ça, vous attendez la mort de Nelson Mandela ? »
Comme si nous étions les seuls à consulter les news régulièrement pour prendre des nouvelles de la santé de Madiba.
Non, je n’attends pas la mort d’un homme que je respecte, et que j’admire. Je ne la souhaite pas, comme personne ici ni dans le monde ne la souhaite
(et c’est d’ailleurs un exemple assez phénoménal de croyance en la vie éternelle que celle de tous ceux qui souhaitent à un homme de 94 ans – aujourd’hui maintenu en vie par une machine et drogué pour en supporter la souffrance – de ne jamais mourir).
Non, je ne la souhaite pas, ni ne l’attends.
Mais alors, qu’est ce que je fais à Soweto ? Mon métier, serais-je tenté de répondre. Mais c’est une bien piètre justification, et je ne reconnais peu mon métier dans cette attente infinie d’un événement que je ne sais souhaiter. De l’information, sans doute – même si c’est là une course au premier qui annoncera, et à l’émotion, que j’ai du mal à partager…
Alors ? Alors ces mots d’un ami de fraîche date, qui a mis en forme exactement ce que je ressens, comme je l’avais ressenti lors de la mort de Jean-Paul II, il y a huit ans :
« cette mauvaise conscience que nous avons tous, vous les journalistes, nous les lecteurs et auditeurs, d’attendre quelque chose qu’on ne veut tout de même pas apprendre ».
La vérité, c’est un jeune étudiant venu visiter la maison-musée de Mandela, qui me l’a dit l’autre jour :
« Il faut qu’on célèbre cet homme, le plus grand, et qu’on lui montre tout notre respect. Mais il est fatigué. Et maintenant,
il nous faut accepter l’inévitable… »
Je ne sais quel chemin il faut prendre pour accepter, fût-ce l’inévitable. Je n’ai jamais su.
A défaut, j’attends – sans savoir très bien quoi. Sans doute Madiba vivra-t-il encore longtemps. Peut-être même jusqu’à son anniversaire, le 18 juillet prochain. Peut-être même jusqu’à 100 ans, comme d’aucuns le lui prédisent ici.
La seule chose que je souhaite est qu’il ne souffre pas sans fin, et qu’on ne prolonge pas artificiellement sa vie pour de bas calculs politiques.
Aujourd’hui, à l’hôpital, une délégation de l’ANC est venue chanter sous ses fenêtres, avec cette phrase indécente écrite sur les t-shirts jaunes des participants :
« Votez ANC en 2014 ».
Devant la maison de Soweto, l’ANC est également venu, même si les slogans étaient moins choquants, et que la musique, et les chants emportaient malgré tout l’âme, et rappelaient via des affiches le principal :
« Ta vie reste notre inspiration »
Alors sans savoir en dire vraiment plus,
laissez moi vous offrir un aller simple pour la maison de notre grand-père à tous, histoire faute de mieux, de finir en musique :
Bonne nuit à vous, où que vous soyez.
Et longue vie au message de tolérance, de pardon et d’amour, du prisonnier le plus célèbre du monde qui attend une nouvelle fois sa libération – sans savoir quand elle interviendra…