13 novembre, un an après…

Chers tous,
je vous écris de Strasbourg pour vous annoncer la naissance de mon premier documentaire.
C’est une nuit au goût d’un an après, une nuit dans une ville en forme de souvenir, et comme souvent je me laisse divaguer le long des rues, et le long de mes pensées.
C’est étrange, quand même, les villes inconnues : certaines ont le don de nous parler la langue des morts en même temps que celle des vivants. Et ce soir, au bord du fleuve qui scintille, alors que le froid me mord les doigts et que mon casque pulse des notes éparses jusque sous mon bonnet, c’est avec vous que je marche.
Chers tous,
il y a un an, on était le 13 novembre. C’était un vendredi, et je finissais pour la première fois une semaine de prof à l’école de Strasbourg. Le matin, j’avais emmené mes étudiants filmer le marché quand il s’éveille, à 6h du matin, histoire de se rappeler combien on rencontre mieux les hommes quand on fait l’effort de se lever à leur heure et combien la lumière est pareille à nullle autre quand le jour, encore une fois, entrouvre la nuit.
Ce vendredi soir d’il y a un, j’avais décidé de rester à Strasbourg, et d’y accueillir ma chérie pour le week-end. Une main généreuse et chère à mon cœur nous avait logé juste sous la cathédrale, dans un écrin en forme de cadeau, et je me réjouissais de retrouver celle que j’aime dans ce nouvel ailleurs.
En sortant de la gare, le sourire de s’être retrouvés aux lèvres, on a avancé dans la ville au ptit bonheur la chance. Et c’est comme si elle avait voulu elle aussi se réjouir, et nous accueillir. Une punk à chien aux yeux tout doux nous a souri d’un sourire d’ange, avant de nous fleurir le moment de quelques mots. D’autres gens de rue nous ont alpagué, et on a déliré avec eux. Et un peu plus loin, sur le seuil d’une église catholique partageant ses murs avec un temple protestant, on nous a invité à un concert de gospel gratos et unique.
Une fois à l’intérieur, on a trouvé une foule immense et hétéroclite, des hommes et des femmes de toutes les couleurs, de tous les âges, de toutes les classes sociales et de toutes les religions, assemblés en une chorale magique qui fêtait ce soir là la mémoire d’un de leurs meilleurs amis mort deux mois auparavant.
Le temps d’un concert — et celui-ci fut baroque — il nous ont raconté son histoire, son cœur et sa musique, et ils nous ont rappelé notre âme et notre joie de vivre, au cas où on aurait oublié de se les porter en bandoulière en même temps qu’en visière.
A bord de cette drôle d’église-temple, comme si les guerres de religion n’avaient jamais existé, et face à cette chorale de toutes les couleurs qui chantait des musiques d’ailleurs et d’ici, Luce et moi on a quitté toute notion de temps, et de boussole, et on est reparti en arrière. Vers les jours qui ont suivi Charlie et l’Hyper Casher, vers le 11 janvier, vers ce peuple ensemble et en marche qu’on avait formé ce jour-là, qui nous avait donné envie de ne pas rester les bras croisés et rappelé que porter ne serait-ce qu’une goutte d’eau sur le feu, c’était toujours ça de pris sur la haine.
Oui, en voyant cette famille hétéroclite qui n’avait aucun lien de sang fêter dans la joie et la paix la mémoire de l’un des siens, on a repensé à Je Marche Avec Toi, à vous tous qui avez ri et marché et dansé avec nous pour clamer haut et fort qu’on est ensemble et en vie, et on s’est dit qu’il y avait encore un vrai espoir : et si la société dont on rêve, solidaire et interculturelle, était à portée de la main… ?
Et puis le concert a fini, on est sorti comme en ébriété de tant d’amitié… et nos téléphones se sont mis à sonner
— et l’horreur s’est invitée à table, menaçant de faire à nouveau gagner la nuit, la peur, la haine.
Chers tous,
si je vous parle de tout ça ce soir, c’est que depuis deux ans, depuis que pour la première fois des âmes perdues se sont jetées au milieu de nos rues, nous faisant prendre conscience comme jamais de tout ce qu’on avait raté en tant que société, et d’abord ce fameux « vivre ensemble » dont on entend tant parler depuis,

je porte en moi une envie de dire autre chose,

une envie folle de raconter cette France différente dont on parle si peu, cette France de toutes les couleurs, de toutes les origines, de toutes les classes sociales et de tous les âges que je connais si bien pour la croiser chaque jour dans les rues des centre-villes comme des cités,
cette France qui sait que l’autre n’est pas une menace mais bien une chance : une promesse de rencontre et de main qui se tend avec le cœur dessus — et tant pis si l’on ne parle pas exactement la même langue, ça viendra…
Alors il y a un an et demi, quand on m’a offert de faire un film où l’on pourrait raconter tout ça, et aussi combien c’est précieux, et délicat à mettre en place, je n’ai pas hésité.
La proposition m’a mené à Montfermeil, au cœur de la Seine-Saint-Denis (le fameux « 93 » dont la seule mention suffit souvent à envoyer votre CV aux oubliettes) dans une école hors norme qui répond au doux nom de

« Cours Alexandre Dumas ».

Trois bâtiments algeco posés sur un parking, et une pédagogie expérimentale et pleine de trouvailles qui porte ses fruits depuis maintenant quatre ans.
Ici, l’école est privée mais laïque, les profs sont blancs et cathos, et les élèves sont français de toutes les origines, de toutes les couleurs et à 70% musulmans. Dans cette France en miniature, on s’attache à vivre la diversité ensemble et à apprendre de l’autre : ses codes, sa culture, son langage propre… bref on s’attache à avancer pas à pas dans un monde inconnu et à s’y faire une place. Les élèves sont en uniformes mais c’est un sweat à capuche, tout le monde se vouvoie, on met l’accent sur l’apprentissage des matières fondamentales, et on transmet aux élèves une citoyenneté ouverte, et une France qui sait accueillir tous ses enfants, et d’abord ceux nés sur son sol avec des origines d’ailleurs.
J’ai passé un an au Cours Alexandre Dumas, à la rencontre des élèves, des familles comme des professeurs. J’ai été invité dans des cités, dans une maison au fond des bois, dans des pavillons. Partout, on m’a ouvert la porte avec le sourire,

et on m’a fait me sentir chez moi

(vous me connaissez, c’est le plus beau cadeau qu’on puisse me faire)
Le résultat ? Un documentaire d’une heure qui passera sur France 2, dans la prestigieuse émission de documentaire Infrarouge, le 22 novembre à 23.20 (et en replay dès le lendemain pour ceux qui se couchent tôt) et qui s’appelle

 

Mon rêve, c’est que face à ce film qui raconte la rencontre entre la France d’aujourd’hui et celle de demain, il y ait la France que j’aime, c’est à dire vous, votre diversité de cultures, de couleurs, de vécu, de langues et d’origines…
Car ce film, j’ai voulu qu’il vous ressemble, que vous vous y retrouviez comme à la maison : un film sans esbrouffe, sans grands discours, un film drôle mais où l’on rit avec l’autre — jamais de lui, un film où l’on se placerait avec bienveillance aux côtés de l’autre sans en faire des caisses, comme à petits pas…
Et moi, d’ici au 22 novembre, je vous emmènerai chaque jour dans l’univers du film à travers bande annonce, extraits, playlist, récits de tournage… sur le blog que vous connaissez désormais bien :

homme-itinérant.fr

Et sur ce je vous salue bien bas,
je vous souhaite du soleil,
ou de la pluie si c’est de la pluie qu’il vous faut,
et l’envie furieuse de tout faire pour que notre pays avance vers plus de solidarité, plus d’ouverture, plus de bienveillance et d’amitié entre ses divers rivages
— par les temps qui courent, c’est plus important que jamais…

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