… un p’tit extrait de L’homme itinérant !
Des fois qu’un voyage dans la capitale italienne vous tenterait, allez-y, le billet est gratuit 😉
(et si vous en voulez plus, ben… y a le livre !)
Rome, samedi 8 mai 2004, 22:07
On dirait le Sud…
Chers tous,
je voudrais pas donner l’impression de me vanter, d’autant que jusqu’à présent j’en ai pas eu des masses l’occasion (le printemps romain, cette année, a fait figure de mauvaise blague ou de publicité mensongère), mais ici, l’été est arrivé. D’un coup. Et pour la première fois de ma vie, je me rends compte de ce que vivre au Sud signifie.
Inventaire, donc, de quelques ptits détails qui changent la vie :
le matin, c’est sûr, c’est plus facile : pas d’incertitude de grisaille, ou de pluie, mes rideaux rouges encadrent désormais à coup sûr le ciel bleu. Pas non plus de grands questionnements sur l’habillage, on attrape un short et un t-shirt et surtout on oublie pas les lunettes de soleil – si je pouvais aller au boulot en tongs, croyez bien que je le ferais…
La ville se transforme, comme si elle contenait des dizaines de villes invisibles, d’ici et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. On croise des odeurs de pin qui rappellent les Landes, à tel point qu’on serait presque sûr de trouver la mer au coin de la prochaine avenue. Plus loin, des fleurs vous prennent à la gorge, vous emmènent en Grèce, avant qu’un souffle d’air ne les emporte – et vous avec, pour une autre destination. Bref, aujourd’hui, prendre le scooter est devenu promesse de voyage, et j’avoue que ce n’est pas pour me déplaire.
Du coup, on investit de nouveaux espaces. Rome compte une bonne dose de parcs hallucinants qui feraient passer celui de Vincennes pour un gentil jardinet, et selon l’humeur, on choisit d’aller musarder dans l’un ou l’autre. Pins parasols centenaires à la Villa Pamphili, où les perruches volent d’arbre en arbre, concerts de jazz à Celimontana, alangui sur l’herbe à l’heure du coucher de soleil, sieste à la Villa Borghese, comme suspendue au-dessus de la ville.
Au niveau logement aussi, Rome change. On se rend soudain compte qu’on avait plein de potes qui avaient des jardins, des terrasses, ou je ne sais encore quelle ouverture sur l’air, et que c’est bien sympa, notamment pour regarder une partie de foot de la Squadra Azzura en mangeant la pasta fredda, la salade de pâtes.
Le soir, on fait l’apéro dehors, puisque les bars et restau ont enfin sorti les terrasses. Et en cas de gros coup de chaud, on prend une bière à emporter, et on va se mettre les jambes dans une fontaine, histoire de se refroidir les pieds, et les idées (je recommande celle en face du Palais Farnèse, l’ambassade de France – on n’est jamais si bien servi que par soi-même…)
Quant aux activités nocturnes, là aussi, tout change. Les boîtes et autres lieux fermés ont cessé leur activité aux premiers beaux jours, remplacés par des festivals-cinéma-concerts-soirées… (mettre n’importe quel mot) en plein air. L’ami Ced, de passage il y a deux semaines, a inauguré notre première soirée sous les étoiles, qui s’est terminée en une mémorable partie de ping-pong à trois heures du mat’…
– dernier changement, et de taille : le week-end, désormais, n’a jamais mieux mérité son nom. Il se dit ici « fine settimana ». Quand arrive le vendredi, c’est la fin de la semaine, au sens où un temps complètement différent commence, qui ressemble bien plus à des vacances qu’à autre chose. On sort de Rome pour aller à la plage (à peine trois quart d’heures de voiture), du coup mon vocabulaire s’étoffe de tous les noms de poissons et fruits de mer en italien puisqu’on mange au restau face à la mer. On part faire un barbecue en campagne le long du fleuve (une heure de voiture). On s’échappe, on s’évade. Bref, on retrouve les amis dans un lieu qui soit un ailleurs, et qui nous permette d’atteindre à cet état décrit par ma petite sœur lors de son passage ici : « T’es toi, et t’es bien d’être toi, c’est simple et à la fois fort ».
La vie change donc avec le soleil, et le rythme de tous également. On reconnaît désormais facilement les touristes à Rome, de même qu’on les reconnaissait hier en Afrique : ce sont les seuls assez fous pour sortir entre midi et quatre heures, les seuls qui se mettent au soleil quand les Romains se trouvent un ptit coin à l’ombre pour y poser une chaise ou déambuler au long des rues.
Côté boulot, mon cœur a tressauté pour mes premiers pas sur le sol sicilien, il y a deux semaines, et la mer qui s’offre de partout et à tous dans des habits bleus honteusement délavés, tellement qu’on se croirait aux Caraïbes. D’autant que j’y étais pour faire un sujet sur les transports routiers, lequel m’a offert un moment hors du temps : deux heures de voyage dans la cabine d’un routier sicilien, ténor à ses heures perdues. J’ai donc eu droit, en plus de la Sicile vue par un Sicilien, et des travellings à vous couper le souffle, à un récital totalement dingue de chants italiens… Dernière note, comme pour achever le concert : avant de quitter la cabine, mon routier, qui conduit des camions depuis ses quinze ans, me racontant qu’il venait aux cours de conduite passer son permis de conduire… en voiture ! Qu’il garait devant l’auto-école…
Bref, l’Italie comme toujours, et comme nulle part ailleurs.
Puisqu’on est dans les îles, je dois dire que j’ai désormais une tendresse particulière pour l’île d’Elbe, petit morceau de Toscane incrusté dans la mer, mais avec le même vert, la même densité, les mêmes fleurs que l’on trouve à Florence, Sienne ou Luca, autres joyaux de cette belle région dont les Italiens disent entre eux qu’elle fut « bacciata di Dio » (« embrassée par Dieu »). Et comme on a en plus trouvé un restau sur le port qui vous donne l’impression de manger au paradis, ça ne gâche rien…
Mais si on parle du cœur, et des tripes, alors il faut parler de Naples, où je suis retourné pour la quatrième fois. Jamais, me semble-t-il, je n’ai vu une ville aussi multiple, aussi intense. Que ce soit face au coucher de soleil sur la baie de Capri, l’île qui ressemble à une femme endormie, que j’ai eu la chance d’admirer avec Perrine et Guy, ou au cœur du quartier que les Napolitains appellent le Bronx (tant il est pourri et rongé par la Camorra), pour un reportage sur une école qui récupère les enfants des rues, rien ne laisse le cœur indifférent. Une fois le pied posé sur ce sol, et même en étant déjà venu, on a l’impression qu’on ne s’appartient plus, que la ville va faire de vous ce qu’elle veut, qu’elle peut vous prendre, vous regonfler ou vous abattre sans qu’à aucun moment vous n’ayez l’occasion d’intervenir dans la décision… Aucun lieu ne m’a donné autant l’impression de remettre le pied en Afrique.
Bref, chers tous, on dirait le Sud en ce sens que tout est devenu ici plus intense, plus contrasté. Que les choses que je vis me laissent encore moins de glace qu’avant (si quelqu’un m’a connu de glace à un moment de ma vie, qu’il soit gentil de lever la main, moi j’arrive pas bien à m’en souvenir…). Que je perds tout repère, dans le bon comme dans le moins bon, et que joies et angoisses se partagent comme d’habitude mon cœur – mais en encore plus violent…
Je vous embrasse très très fort
Rom(e), l’homme itinérant…
(vingt-six ans et deux mois)
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