«Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants…»

Ce matin, grâce à une amie du bout du monde, merci à elle,

je relis « Correspondances », le 4e poème des Fleurs du Mal.

A le retrouver ce matin, dans ma rue de Dakar, moi qui suis en voyage depuis longtemps

– alors que la dernière fois que je l’ai lu, je devais je sais pas… passer le bac de Français !!!

et m’escrimer à le disséquer comme un jeune interne s’applique sur le coeur d’un cadavre en salle d’examen.

 

Non, ce matin, je le retrouve vivant – et magnifiquement vrai. Alors je voulais vous le partager. Bon voyage, où que vous soyez, et quel que soit le temps que vous avez… N’oubliez pas d’avoir l’oeil et le coeur aux correspondances…

ps : et lisez doucement 😉

 

 

« Correspondances »

La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs d’enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
– Et d’autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des sens.

baudelaire

 

Et pour ceux qui auraient envie de tripper, et un peu de temps à perdre,

je suis tombé sur ce site fabuleux : la correspondance de Baudelaire en libre accès, en chronologique… Très beau :

http://baudelaire.litteratura.com/?rub=vie&srub=cor

 

La numéro 2, juste, écrite à son frère Alphonse en février 1832, savoureuse en diable :

 

« Mon frère,
Tu m’as dit de t’écrire tous les premiers du mois et je remplis mon devoir.
Je te vais raconter mon voyage.
Première étourderie de maman : en faisant charger les effets sur l’impériale, elle s’aperçoit qu’elle n’a plus son manchon et s’écrie en faisant un coup de théâtre :  » Et mon manchon !  » Moi de lui répondre tranquillement :  » Je sais où il est et je vais le chercher.  » Elle l’avait laissé dans le bureau sur une banquette.
Nous montons dans la diligence, nous partons enfin. Pour mon compte, dans le premier moment, j’étais de fort mauvaise humeur à cause des manchons, des boules d’eau, des chancelières, des chapeaux d’homme et de femme, des manteaux, des oreillers, des couvertures, à force, des bonnets de toutes les façons, des souliers, chaussons fourrés, bottines, paniers, confitures, haricots, pain, serviettes, énorme volaille, cuillers, fourchettes, couteaux, ciseaux, fil, aiguilles, épingles, peignes, robes, jupons, à force, bas de laine, bas de coton, corsets les uns par-dessus les autres, biscuits, pour le reste je ne puis me rappeler.
Tu sens bien, mon frère, que moi qui suis toujours en mouvement, toujours sur un pied ou sur l’autre, je ne pouvais pas bouger, et à peine me mettre à la vitre.
Bientôt je redevins gai comme à l’ordinaire. Nous relayâmes à Charenton et continuâmes notre route ; je ne me rappelle guère plus les relais, aussi je passe au soir. Le jour étant tombé, je vis un beau spectacle, c’était le soleil couchant ; cette couleur rougeâtre formait un contraste singulier avec les montagnes qui étaient bleues comme le pantalon le plus foncé. Ayant mis mon petit bonnet de soie, je me laissai aller sur le dos de la voiture et il me sembla que toujours voyager serait mener une vie qui me plairait beaucoup ; je voudrais bien t’en écrire davantage, mais un maudit thème m’oblige de fermer ici ma lettre.
Ton petit frère.
CHARLES BAUDELAIRE.
N’oublie pas d’embrasser de ma part ma sœur et Théodore. Je t’enverrai la suite de mon voyage au premier mars.
Maman et papa te disent bien des choses. »

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