Hier encore
Paris, 11 octobre 2018
Chers tous,
ça doit être ça, le temps qui passe : quand les chanteurs meurent, désormais, je les connais — mieux, je les ai dans la tête, dans le cœur et dans les veines…
Alors lundi dernier, quand Charles Aznavour nous a quittés, mon téléphone a sonné et 13H15 m’a demandé de faire, pour le samedi suivant, un film sur le plus célèbre fils d’Arménien que la France ait portée. S’en sont suivis cinq jours de tournage échevelés, de rencontres surréelles, de gestion d’équipes lancées aux quatre coins de Paris, de nuits blanches, de prises de tête pour trouver le ton juste, les images qui racontent et le souffle qui emporte, et bien sûr de chansons entonnées à tue-tête à 4h du matin — et final beaucoup, beaucoup de souvenirs liés à sa musique et à ceux qu’on aime.
On a tous un son d’Aznavour dans nos vies.
Grâce à lui, on peut se reporter de façon magique à sa jeunesse, à ses sentiments d’alors, et aux premières morsures de la vie, quand sa beauté et sa puissance frappaient pour la première fois et qu’on commençait pour de bon d’y aimer vivre — et tant mieux si ça pouvait se faire en grand…
Le mien, d’Aznavour, c’est à un concert de la grande Lhasa, que je le dois. La voyageuse devant l’éternelle posait se soir-là ses valises et ses vingt ans au Trianon, une pure salle de concert parisienne. J’avais vingt ans, j’étais avec ma cousine, électrisés tous les deux par cette presque sœur pourtant inconnue qui chantait la vie et la peine avec ses tripes comme jamais je n’avais vu personne le faire — et qui, en plus, prenait le temps de nous parler, assise en bord de scène, comme à des amis d’un soir à qui l’on peut enfin tout dire.
Vers la fin du concert, elle nous a partagé, elle qui avait connu tant de pays, combien la musique d’Aznavour l’avait accompagnée, et notamment l’une de ses chansons, qu’elle a entonnée, puis reprise avec ses musiciens dans une montée en puissance unique et de plus en plus débridée, fidèle à cette air yiddish qu’il avait inventé pour dire ces moments où il ne nous reste plus rien — et où on voudrait tant savoir tout retrouver.
En ce premier jour d’octobre, quand j’ai appris la mort de cet homme étrange, cet homme séculaire en qui tout se mêlait (l’ailleurs et l’ici, la défaite comme les hauteurs, le deuil comme la joie…) c’est elle, échevelée et lumineuse comme au premier soir, que j’ai entendue me fredonner à l’intérieur :
« Deux tziganes sans répit / Grattent leur guitare
Ranimant du fond des nuits / Toute ma mémoire
Sans savoir que roule en moi / Un flot de détresse
Font renaître sous leurs doigts / Ma folle jeunesse »
« Jeunesse… »
Ce matin, c’est le mot qui me vient pour lui — ce qui est un peu étrange, pour un petit bonhomme de 94 ans. Mais on le sait bien, la jeunesse n’est pas affaire d’âge, elle est affaire de soif, de cœur et de regard, elle est ce sentiment profond que tout commence encore, chaque jour
— et qui sait, on pourrait bien trouver le meilleur au bout !
Il le disait si bien, cet élégant, à la toute fin de sa vie : « Je ne suis pas vieux, je suis âgé ». Comme si ça n’avait rien à voir…
Alors si en ce dimanche pluvieux, vous voulez raviver vos vingt ans, souffler sur vos braises et chanter à tue-tête, bref si vous vous sentez jeune, et audacieux, et d’humeur chantante, ou si c’est tout le contraire mais qu’un petit bain de jouvence, et de rire et de vie vous ferait du bien, laissez-moi vous emmener pendant une demie-heure…
Ça s’appelle « Hier encore », un max de gens bien bien doués a bossé dessus d’arrache-pied (parmi lesquels Hélène Lam Trong, qui l’a co-réalisé avec moi, un grand merci à elle d’avoir su contenir et accompagner ma folie furieuse 😉
Croyez-moi, vous ne le regretterez pas.
Et quant à moi,
« le cœur léger et le bagage mince »,
ainsi qu’il le chantait,
je vous envoie toute l’énergie,
et la joie de vivre, de rencontrer et de partager
que cette semaine étrange m’a apporté
et je vous embrasse fort,
où que vous soyez,
et quel que soit l’âge de votre jeunesse…
Rom, l’homme itinérant
PS : je ne peux finir sans un immense merci à ma femme, qui a rendu possible cette folie de documentaire en cinq jours en gérant de front son boulot « d’ouvreuse de fenêtres de l’âme » dans les quartiers populaires, un fils qui rêverait de marcher mais ne sait pas encore, et un mec zombie qui repasse de temps en temps dormir quelques heures. « You are my love very very véritable… » Je lui dédie cette version surréelle de « She », le seul gros tube d’Aznavour en anglais (et l’occasion de sortir du placard la plus kitsch des vestes « léopard » !!!!)
PPS : et si vous voulez savoir, ce que c’est la jeunesse, de l’avoir dans les tripes et dans la gorge, et de savoir si bien le partager, et que vous ne connaissez pas encore la défunte Lhasa, laissez vous porter par ce premier morceau de son concert au Grand Rex — croyez moi ça va vous « emmener » très loin :
Allez, j’arrête et laisse le titi-lumière aider chacun retrouver sa propre histoire… 😉