L’homme itinérant fait son flash mob

Certains s’en souviennent,

on est partis, à l’occasion de la sortie du livre,

dans un délire consistant à faire

un flash mob :

lire L’Homme itinérant tous ensemble

dans un des endroits où le livre vous emmènera,

et qui sur le papier n’est pas forcément glamour :

un métro, à Paris.

 

Beaucoup ne s’étaient pas remis de la soirée de la veille

(il faut dire qu’elle fut magnifique, jugez plutôt :

http://homme-itinerant.fr/l-itinerant-fait-son-cirque/),

mais beaucoup sont venus.

 

Pour les autres, sachez qu’on a lu L’Homme itinérant dans le métro,

et même à haute voix,

et ça a donné ça

(et pour le texte complet, c’est juste en dessous) :

 

 

 

Et si vous voulez lire l’extrait complet, c’est juste en dessous.

Pour ceux qui sont partout en voyage… :

 

« Paris, mercredi 28 décembre 2005, 23:56

Un mec qui roule une clope

Chers tous,

 

de passage à Paris où j’ai mes quartiers dans le salon d’une collocation magique tout près de République, et totalement à la bourre comme souvent, je suis descendu en courant dans le métro, et maintenant me voilà sur le quai. A côté de moi, il y a cette fille en rose, très mince, plongée dans un livre, un vieil Algérien qui joint ses mains burinées avec tendresse, et deux gars assis derrière, dont un qui vomit sur son sac de couchage.

Personne ne se parle, en tout cas pas autour de moi, à part les deux copines, là-bas, derrière, que j’entends et imagine sans me retourner et aussi une nana un peu triste avec une tête de prof, qui dit dans son téléphone portable : « Je suis dans le métro » d’une voix fluette un peu lasse.

Et ça résonne, sa phrase : c’est rare d’entendre quelqu’un dire à ce point tout en si peu de mots. Que se passera-t-il dans ce métro que je vais prendre, dans ce mini-monde d’une trentaine de personnes qu’on suit quelques minutes ou dix stations, dans ce lieu qu’on décrit comme une situation, comme « je suis dans la panade », ou « je suis dans le désarroi »…? Dans le monde d’en dessous, n’en déplaise aux provinciaux qui l’ont en horreur, il se passe toujours quelque chose.

A ces moments-là, où chacun est en lui, occupé à regarder ailleurs, les univers se côtoient tout près, et de manière totalement aléatoire. On atteint à l’intimité absolue, et rien, je crois, ne pourrait m’étonner dans le métro, tant je m’attends à tout, tant j’y ai vécu de trucs, de rencontres et de musiques.

 

Un pingouin attend à côté de moi, sec et lucide, cravate rouge nouée jusqu’au bout du cou, alors même que le soir est déjà là. Et puis dix Russes débarquent, immenses et bourrés, jeunes et rougeauds, avec de grosses mains. Il y a un éléphant place de la Concorde, si j’en crois une affiche, et en face de moi, des porteurs de valises et des porteurs de cierge. J’entends l’ami Jacques Brel me résonner quelque part en tête, me proposant à brûle-pourpoint : « Et quelques Chinois, en guise de notaires ». Je souris.

 

Jamais vu un métro mettre autant de temps à arriver. C’est toujours comme ça quand on est à la bourre. Le quai s’est rempli jusqu’à la garde. Comme si une foule immense s’était massée dans l’attente d’un événement. Chacun de nous, pris individuellement, sait bien que personne n’attend rien, sinon le métro, qui s’annonce enfin. Mais tous ensemble, en tant que foule, en tant qu’individu global avec ses sentiments propres, on se met à bruire de quelque chose d’autre.

Malgré l’impatience de s’asseoir, personne n’empiète encore sur la ligne blanche qui nous sépare des voies. Et soudain je vois deux trucs en même temps. Le train, au fond du tunnel, qui arrive enfin, ses phares émergeant du trou noir. Et puis un type, le visage baissé, qui marche tout seul sur la ligne blanche, tout au bord du quai. Même de loin, on voit que c’est un gars qui est usé, un qui est resté ailleurs, à faire un truc tout au fond de lui, et ce malgré l’arrivée du métro. Qui arrive de plus en plus.

 

On y a tous pensé. On l’a tous vu, au même moment. Le bordel que ça va être, tout d’un coup, quand ce type va se jeter sous la rame. La dernière et seule inconnue, maintenant, tellement ça paraît sûr, c’est à quel endroit du quai ça se passera.

Moi je suis au milieu. Et quand le type arrive sur moi, le métro est à dix mètres derrière lui, vraiment lent, comme pour mieux lui laisser le temps d’y penser encore deux secondes – une sorte de « Messieurs les Anglais, tirez les premiers »…

Je comprends pourquoi il marche tête baissée quand il est à quelques pas de moi, le métro bientôt sur ses talons : il se roule une clope. Il a vraiment l’air mal en point.

Et, alors qu’il m’a à peine dépassé, et que je sens déjà le souffle du métro sur mon visage, je me prends à me répéter tout bas, comme un mantra : « Un mec qui roule une clope ne saute pas, un mec qui roule une clope ne saute pas, un mec qui roule une clope, un mec qui roule une clope… »

 

Bref, chers tous, je suis dans le métro. Jusqu’au cou.

 

Mais faut croire que les mantras, parfois, ça marche. Le métro s’est arrêté, je suis monté dedans, pressé par la foule. Et, alors que les portes se refermaient, j’ai levé la tête sur le quai une dernière fois, et j’ai vu le mec à la clope gravir les escaliers à pas lents, histoire j’imagine d’aller se la fumer dehors.

 

Je vous salue tous, où que vous soyez. Merci d’être venus vous asseoir avec moi, ce soir, dans les entrailles à roulettes de Paname. J’espère profiter de mon passage pour vous voir en chair et en os sous peu. Et en attendant, je vous envoie des clopes à rouler magiques, et un monde où les gars, même tapés, même au bout du rouleau, savent encore se trouver un chemin pour remonter l’escalier.

 

Je vous embrasse fort.

Rom, l’homme itinérant

                                                                                                                (vingt-sept ans et dix mois)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.

%d blogueurs aiment cette page :