Le corniaud de Bamako est un sage

Ce n’est pas parce que je suis désormais Sénégalais que je n’appartiens plus à la « sous-région » de Ouaga, non mais quoi encore ! Récit, donc, d’un retour chez moi – on m’a envoyé me mettre en « standby » au Mali, des fois qu’il arrive quelque chose, et je vous écris depuis Bamako…

 

La porte de l’avion d’Ethiopian Airlines s’ouvre. Durant tout le vol, mon voisin éthiopien psalmodiait son Coran dans le petit matin, et son doux murmure a fini par m’apporter la paix, et par m’endormir. Je ne me suis pas préparé.

Et voilà que maintenant la porte de l’avion s’ouvre. Premier pas dans l’air. Même claque que la première fois, il y a douze ans. Air moite, dense, qui colle à la peau et vous emporte, quelle que soit votre couleur et votre langue. Et partout, dès le premier pas, cet odeur si particulière : un fond de brûlé qui surnage, comme si on avait tout passé au fer rouge avant que vous arriviez. Il est 9h30, il fait 32°, et votre pantalon s’aggrippe direct à vos jambes.

Vous prenez place à côté du chauffeur. Boua, son neveu, n’a pu venir, alors Wa le remplace au pied levé. Vous traversez le fleuve Niger, et c’est toujours le même enchantement, avec les mobs qui roulent le long de la route, en grappes sur les trottoirs de l’un des deux ponts de la ville.

Une première leçon de Bambara s’en suit. J’avais appris un peu de dioula il y a deux ans avec les FRCI, les « rebelles » de Côte d’Ivoire, venus du Nord du pays déloger Gbagbo d’Abidjan, et ça ressemble pas mal au Bambara – mais j’avoue qu’à mon grand dam, j’en ai oublié la majeure partie depuis. N’importe, l’essentiel me reste : « Anissoukhoma ! », bonjour !

(pour ceux qui veulent réviser le reste, c’est ici)

Les premiers mots de Bambara s’échangent, puis on parle moteurs (Wa roule dans une 205 de 19 ans d’âge, il en est très content – « moi j’appartiens à Peugeot, depuis ma première voiture », spéciale dédicace à la fille de Vesoul…), puis on parle des événements (Wa était à Tombouctou en janvier, « juste après le bombardement des Français », avec une équipe d’Al Jazira – après avoir reçu l’accord de son marabout, bien sûr), bref on parle de choses et d’autres – avec Wa qui ne cesse de s’excuser : « pour parler, je n’ai pas la langue facile… »

Alors on reste un peu en silence. A la fenêtre grande ouverte, le goudron défile. Femmes en boubous multicolores leur enfant sur le dos, gamins qui jouent au foot pieds nus, ballon troué, échanges de salutations, et même un mec qui roule sur sa mob avec un ventilateur qui ventile son moteur – allez savoir avec quoi il l’alimente. Bref, ça fait du bien de se retrouver chez soi.

Et puis Wa commence son histoire, de but en blanc :

« – Moi, au volant, je suis jamais fatigué… Je peux conduire 48h à la suite … ! Tu sais, je travaille avec un homme qui vend des diamants, il vient de Côte d’Ivoire. Deux fois par mois, il arrive à Bamako. Il a des gros diamants. Il va chez l’acheteur. Ils se mettent d’accord sur le prix. Deux jours après, l’acheteur donne une partie du prix, l’argent qu’il a, et mon patron repart. Moi, quelques jours après, je pars sur la route d’Abidjan. Je quitte ici à 10h du soir, j’arrive à la frontière à 3h, je dors un peu et puis quand le poste ouvre, à 7h, ils me font le laisser-passer, et je vais. Les soldats sont toujours étonnés de ma voiture vide. Mais moi je leur dis que je suis garagiste, que je vais chercher des pièces à Abidjan. Mais en vrai, j’ai 800 millions de CFA, en liquide !

– Mais c’est énorme, 800 millions, où tu les mets ??!!

– Je les mets partout : dans les portes, dans le toit, dans les sièges même dans mon pneu de secours, je les mets… ! Et puis quand j’arrive à Abidjan, je dors un peu, je vais acheter un peu les courses au marché, et puis je repars le soir… »

Je suis resté rêveur. Bourvil, quelque part depuis les nuages, m’a fait un sourire. J’ai repensé à ces scènes mythiques du Corniaud avec sa voiture bourrée d’or sans qu’il le sache, et de Funès qui lui gueule dessus…

Et puis j’ai repensé à mon proverbe africain préféré :

« Seules les montagnes ne se recontrent pas ».

 

Salut à toi, l’ami Corniaud, tu as un frère à Bamako – même s’il est beaucoup plus sage : il sait, lui, les trésors que renferme sa voiture… 😉

 

 

 

 

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