Ce que Sankara a dit à Mitterrand ce jour-là

Le 17 novembre 1986,

François MItterrand est à Ougadougou,

où il rencontre très jeune président du Burkina Faso,

Thomas Sankara.

 

Trois ans après la révolution initiée par Sankara et son ami Compaoré,

et un an avant que le

« Che de l’Afrique »

ne meure sous les balles de son frère,

la très lourde et très vieille Françafrique,

le pays des droits de l’homme,

se prend une leçon de démocratie et d’intégrité par le chef de l’un des pays les plus pauvres du monde

mais où l’espoir, depuis deux ans, a élu domicile

 

– au point qu’il rayonne dans toute l’Afrique,

et commence à sérieusement inquiéter les chefs à l’ancienne au Sud du Sahel,

piliers d’une certaine politique française à l’ancienne en Afrique.

 

En voici un court extrait,

qui juste pour la gueule de trois pieds de long de Mitterrand,

vaut son pesant de cacahouètes…

 

http://youtu.be/18AoRhBos4g

 

Et si vous voulez la version intégrale,

voici ce qu’a dit Sankara à Mitterrand :

 

Permettez-moi de m’adresser à notre illustre hôte, M. François Mitterrand, et à son épouse Madame Danielle Mitterrand.

Monsieur le président, lorsqu’il y a de cela quelques années, vous passiez par ici, ce pays s’appelait la Haute-Volta. Depuis, bien des choses ont changé et nous nous sommes proclamés Burkina Fa . C’est là tout un programme dans lequel est inscrit le code de l’honneur t de l’hospitalité. Et c’est pour cette raison que nous sommes sortis r vous souhaiter la bienvenue ici, au Burkina Faso, à l’occasion de votre brève escale à Ouagadougou.

C’est la malédiction pour celui chez qui jamais l’on ne frappe, celui chez qui jamais ne passe et ne s’arrête le voyageur assoiffé et affamé. Au contraire, et c’est notre cas, le voyageur s’est arrêté chez nous et, lorsque après la gorgée d’eau rafraîchissante, des forces sont venues, il a engagé le discours avec nous pour mieux nous connaître, pour mieux nous comprendre et emporter avec lui, chez lui, des souvenirs de chez nous.

Monsieur le président, il est difficile de dissocier l’homme d’État que vous êtes de l’homme tout court. Mais je voudrais dire avec insistance que nous accueillons ici François Mitterrand. Et c’est bien pour cette raison que chacun ici vous a témoigné, à sa manière, sa satisfaction, sa joie de saluer celui qui est venu pour voir et témoigner de sa bonne foi, de son objectivité, que quelque chose se fait quelque part sous le soleil d’Afrique, au Burkina Faso.

Le Burkina Faso est un chantier, un vaste chantier. Le temps ne nous a pas permis d’aller rendre visite et hommage à ces nombreux travailleurs ici et là, qui, chaque jour, s’entêtent à transformer le monde, à transformer un univers aride, difficile. Les victoires qu’ils viennent de remporter déjà nous permettent de dire que nous sommes loin du mythe du travail de Sisyphe. En effet, il faut mettre une pierre sur une autre, recommencer et encore recommencer. C’est dans ces conditions qu’aujourd’hui le Burkina Faso est fier d’avoir fait passer le taux de scolarisation de 10 pour cent à près de 22 pour cent, grâce à ces nombreuses écoles, à ces nombreuses classes que nous avons construites de nos mains, ici et maintenant. Nous avons pu réaliser de nombreux barrages, de nombreuses petites retenues d’eau qui, si elles ne sont pas de la taille de ces grands ouvrages dont on parle tant dans le monde, ont leurs mérites, et nous inspirent des motifs légitimes, je crois, de fierté.

C’est encore avec le courage de nos bras et la foi de nos coeurs que nous avons construit dans chaque village du Burkina Faso un poste de santé primaire. C’est avec détermination que nous avons vacciné des millions et des millions d’enfants de ce pays et des pays voisins. La liste serait longue, mais, hélas, elle ne suffirait pas à représenter un pas, un seul pas de notre programme vaste et ambitieux. C’est donc dire que la route est longue et très longue.

Monsieur François Mitterrand, venant au Burkina Faso, ce sont ces réalités que nous souhaitons que vous puissiez connaître. C’est cela que nous souhaitons que vous puissiez rapporter en France, et ailleurs. Dans le tumulte des luttes, dans la cacophonie des agressions, il est utile que des témoignages justes, sains et appropriés disent ce qui est. Et en vous choisissant comme interprète et porte-parole, nous voulons également souligner les combats constants qui ont animé votre carrière politique, votre vie tout court. Ces combats-là, nous les connaissons et ils nous inspirent également nous autres du Burkina Faso.

Vous aimez à parler, avec parfois entêtement dans certains milieux réfractaires, du droit des peuples. Vous aimez à parler, avec une lucidité que nous avons appréciée, de la dette. Vous aimez à parler également de la coopération, du Tiers Monde. C’est bien. Lorsque nous avons appris que Monsieur François Mitterrand allait fouler le sol du Burkina Faso, nous nous sommes dit que si le raisonnement nous écartait de l’élégance des propos, le sens du noble combat je veux parler des joutes oratoires saurait nous rapprocher, tant nous apprécions ceux chez qui le discours s’éloigne du négoce, des tractations, des combines et des magouilles.

Au Berri (province française), je crois, votre nom Mitterrand signifie terrain moyen ou peut-être mesureur de grains ? Dans tous les cas : homme de bon sens. Bon sens proche de ces hommes qui sont liés à la terre, la terre qui ne ment jamais. Qu’il s’agisse du grain, qu’il s’agisse du terrain, nous pensons que la constante est que vous resterez vous-même lié au terroir. C’est pourquoi, parlant du droit des peuples, thème qui vous est cher, nous disons que nous avons écouté, apprécié les appels que vous avez lancés et que vous avez répétés après mai 81.

Nous suivons et apprécions aussi chaque jour, les actes comme ils sont posés. La France est engagée avec les autres peuples du monde dans la lutte pour la paix et c’est pourquoi, à l’heure où nous nous rencontrons aujourd’hui, il convient de rappeler que d’autres, ailleurs, ignorent, et pour combien de temps, cette paix.

Il s’agit d’abord des Palestiniens. Les Palestiniens, des hommes et des femmes qui errent de part en part, bohémiens du sionisme. Ces hommes et ces femmes qui sont contraints de chercher refuge, ces hommes et ces femmes pour qui la nuit est une succession de cauchemars et le jour, une avalanche d’obus.

La paix c’est aussi le Nicaragua. Vous-même, dans un de vos discours, disiez avec force le soutien que vous apportiez au Nicaragua contre les minages de son port, contre toutes les actions qui sont dirigées, de l’extérieur, contre les Nicaraguayens. Vous-même, dans vos nombreux entretiens avec le commandant Ortega, avez eu à plaindre ce peuple qui n’en finit pas de souffrir et qui n’en finit pas de subir des actions de barbares qui ne sont pas venus de très loin, parce qu’ils sont Nicaraguayens, mais qui sont fortement appuyés par d’autres.

La paix, c’est aussi l’Iran et l’Irak. Combats fratricides complexes, incompréhensibles ; où l’on ne sait plus qui est dans quel camp, tant les imbrications sont nombreuses. Mais où l’on peut retenir simplement que ces armes dont les cliquetis signifient la mort chantent aussi la tristesse pour les femmes, les enfants, les vieillards, ces armes-là, sont fournies chaque jour par ceux qui se nourrissent du sang des autres, par ceux qui jubilent lorsque le fer tue et que le feu brûle.

La paix dans le monde, c’est également cette région tourmentée du Sud de l’Afrique. Comme si par un sort quelconque on y avait concentré des éléments incompatibles dans un cafouillage et dans des affrontements qui chaque jour se multiplient et s’agrandissent. Il n’y a pas longtemps, nous avons été consternés par la mort de Samora Machel. En même temps, nous y avons vu un message, une indication : la nécessité de lutter contre un ordre barbare, inique, rétrograde ; de lutter contre un ordre que les peuples civilisés et nous comptons la France parmi ces peuples-là ont le devoir de combattre pied à pied, qu’il s’agisse de sanctions économiques, qu’il s’agisse de mesures politiques et diplomatiques, qu’il s’agisse également de combats militaires directs et ouverts contre le racisme, l’apartheid en Afrique du Sud.

C’est dans ce contexte, Monsieur François Mitterrand, que nous n’avons pas compris comment des bandits, comme Jonas Savimbi, des tueurs comme Pieter Botha, ont eu le droit de parcourir la France si belle et si propre. Ils l’ont tachée de leurs mains et de leurs pieds couverts de sang. Et tous ceux qui leur ont permis de poser ces actes en porteront l’entière responsabilité ici et ailleurs, aujourd’hui et toujours.

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Nous savons que de nombreux débats ont été engagés autour de cette question, et nous connaissons les positions des uns et des autres. Mais enfin, pour nous la tristesse est immense. Ces hommes-là n’ont pas le droit de parler de compatriotes morts pour la paix parce qu’ils ne connaissent pas la paix. Ceux qui sont morts pour la paix sont en train de reposer en paix et ensemble chaque jour nous faisons en sorte que leur mémoire se perpétue grâce aux actes que nous essayons chacun de poser dans ce sens-là.

La paix dans le monde c’est aussi la République arabe sahraouie démocratique, où et nous ne comprenons pas un peuple, le peuple ahraoui, n’a toujours pas pu, n’a toujours pas trouvé comment s’autodéterminer, parce que des oppositions fortement soutenues, appuyées, s’intercalent, s’interposent. la paix c’est, également dans cette région, la Libye bombardée, des maisons détruites mais surtout un carnage inutile qui n’aura même pas permis à leurs auteurs d’aboutir, d’arriver à leurs fins, tout en privant ceux-là de leurs plus proches parents, de leurs amis, et de leurs réalisations.

La paix c’est aussi le Tchad. Le Tchad, pour lequel les constructions et les destructions se succèdent. Le Tchad pour lequel les opérations, les expéditions aussi se succèdent. Le Tchad ne trouvera jamais la paix, le bonheur et le développement par conséquent, tant que les Tchadiens eux-mêmes n’auront pas eu le loisir de se choisir une voie, et un chemin de construction nationale.

Pour toutes ces « zones de tempêtes », et pour bien d’autres, je crois, Monsieur le président, que vos efforts ne peuvent qu’être d’un puissant secours, en raison de l’importance de votre pays ; en raison aussi de l’implication directe ou indirecte, de votre pays dans ces zones-là. Je voudrais vous assurer que pour notre part, au Burkina Faso, nous sommes tout à fait disposés à tendre la main, à prêter notre concours à qui nous le demandera, pour peu que le combat que nous devons mener soit un combat qui nous rappelle la France de 1789. C’est pour cette raison que je voudrais vous dire que le Burkina Faso est prêt à signer avec la France un accord de défense, pour permettre à toutes ces armes que vous possédez de venir stationner ici, afin de continuer là-bas à Prétoria où la paix nous réclame.

Monsieur le président, je voudrais continuer à m’adresser à l’homme. Vous parlez beaucoup, souvent, de la dette, du développement de nos pays, des difficultés que nous rencontrons dans des forums internationaux comme la rencontre des Grands (les « 7 pays industrialisés ») à Tokyo. Vous y auriez défendu notre cause, nous vous en savons gré. Nous vous demandons de continuer à le faire, parce que, aujourd’hui, nous sommes victimes des erreurs, des inconséquences des autres.

L’on veut nous faire payer doublement des actes pour lesquels nous n’avons pas été engagés. Notre responsabilité n’a été nullement engagée dans ces prêts, ces endettements d’hier. Ils nous ont été conseillés et octroyés dans des conditions que nous ne connaissons plus. Sauf qu’aujourd’hui, nous devons subir et subir. Mais pour nous, ces questions ne se résoudront jamais par des incantations, des jérémiades, des supplications et des discours.

Au contraire, ces détours risquent d’avoir la lourde conséquence d’endormir la conscience des peuples qui doivent lutter pour s’affranchir de cette domination, de ces formes de domination. Vous-même avez écrit quelque part dans les nombreuses pages que vous avez offertes à la littérature française que tout prisonnier aspire à la liberté, que seul le combat libère.

Ensemble, organisons-nous et barrons la route à l’exploitation, ensemble organisons-nous, vous de là-bas et nous d’ici, contre ces temples de l’argent. Aucun autel, aucune croyance, aucun livre saint ni le Coran ni la Bible ni les autres, n’ont jamais pu réconcilier le riche et le pauvre, l’exploitateur et l’exploité. Et si Jésus lui-même a dû prendre le fouet pour les chasser de son temple, c’est bien parce qu’ils n’entendent que ce langage.

Monsieur le président, parlant de la coopération entre la France et le Tiers Monde, mais principalement entre la France et le Burkina Faso, je voudrais vous dire que nous accueillons à bras ouverts tous ceux qui, passant par ici, acceptent de venir contribuer avec nous à la réussite de ce vaste chantier qu’est le Burkina Faso.

En ce sens, la France sera toujours la bienvenue chez nous. Elle sera toujours la bienvenue dans des formes qu’il nous convient d’imaginer plus souples et qui rapprocheront davantage Français et Burkinabè. Nous ne demandons pas une aide qui éloignerait les Burkinabè des Français, ci serait une condamnation face à l’Histoire. Nous ne demandons pas, comme cela a été le cas déjà, que des autoançaises viennent s’acoquiner avec des autorités burkinabè, africaines, et que seulement quelques années plus tard, l’opinion française, à travers sa presse se répande en condamnations de ce qui s’appelait aide, mais qui n’était que calvaire, supplice pour les peuples

Il y a quelque temps, une certaine idée était née en France, que l’on nommait le cartiérisme. Le cartiérisme, hélas, a pu s’imposer à cause aussi de l’incapacité d’Africains qui n’ont pas su valoriser la coopération entre la France et les pays africains.

C’est donc dire que les torts sont partagés. Dans notre « Chant de la victoire » notre hymne national ceux-là, qui portent l’entière responsabilité ici, en Afrique, nous les appelons les valets locaux. Parce que soumis à un maître, ils exécutaient ici sans comprendre des actes, des ordres qui allaient contre leur peuple.

Monsieur le président, vous avez écrit quelque part qu’à l’heure actuelle, l’aide de la France baisse. Et que, hélas, ajoutiez-vous, cette aide évolue au gré des ambitions politiques de la France et comble de malheur « pour le comble », pardon, avez-vous dit et souligné ce sont les capitalistes qui en profitent. Eh bien, nous croyons que cela est également juste. Vous l’auriez écrit, je crois, dans cet ouvrage ma part de vérité. Cette parcelle de vérité est une vérité. Ce sont effectivement les capitalistes qui en profitent, et nous sommes prêts pour qu’ensemble nous luttions contre eux.

Monsieur le président, nous avons hâte de vous entendre, de vous entendre nous dire ce que vous retenez de ces quelques heures passées au Burkina Faso. De vous entendre aussi nous dire ce que signifie ce périple qui finit ici au Burkina Faso. En six jours vous aurez parcouru une bonne partie de l’Afrique ; le septième jour, vous vous reposerez.

Nous voulons avoir une pensée pour tous ceux qui, en France, oeuvrent sincèrement pour rapprocher des peuples lointains comme ces peuples d’Afrique, comme ce peuple du Burkina Faso, avec ce peuple français, courageux et aux grandes valeurs. Nous voulons penser, nous voulons adresser nos pensées à tous ceux qui, là-bas, sont chaque jour meurtris dans leur chair, dans leur âme, parce que çà et là un Noir, un Étranger, en France, aura été victime d’une action barbare sans égard pour sa dignité d’homme.

Nous savons qu’en France beaucoup de Français souffrent de voir cela. Vous avez, vous-même dit clairement ce que vous pensiez de certaines décisions récentes, comme ces expulsions de nos frères maliens’. Nous sommes blessés qu’ils aient été expulsés et nous vous sommes reconnaissants de n’avoir pas cautionné de telles décisions, de tels actes révolus.

Les immigrés en France, s’ils y sont pour leur bonheur, comme tout homme en quête d’horizons, de rivages meilleurs, ils aident et construisent également la France pour les Français. Une France qui, comme toujours, a accueilli sur son sol les combattants de la liberté de tous les pays.

Ici, au Burkina Faso, des Français luttent de façon sérieuse aux côtés des Burkinabè, bien souvent dans des Organisations non gouvernementales. Bien que toutes ces Organisations non gouvernementales, il faut le dire, ne représentent pas pour nous des institutions fréquentables certaines sont purement et simplement des officines condamnables il y en a de grand mérite. Et celles-là nous permettent de mieux connaître la France, de mieux connaître les Français. Nous pensons également à ceux-là. Nous pensons aussi à tous ceux qui comptent sur une action conjuguée, pour un monde meilleur.

Chaque année, de façon rituelle, et avec la précision d’un métronome, vous allez à Solutré’. Vous y allez de façon constante, et l’observation de ces actes répétitifs nous enseigne qu’il faut prendre « le grand vent de l’effort, la halte de l’amitié et l’unité de l’esprit ». Cela aussi, c’est vous qui l’avez écrit. Je vous l’emprunte. Nous espérons que vous emporterez avec vous, en France, ce sentiment de l’amitié et que votre halte à Ouagadougou aura été une halte de l’amitié.

C’est pour cela que je voudrais vous demander, Monsieur le président, Madame, Messieurs, de lever nos verres pour boire à l’amitié entre le peuple français et le peuple du Burkina Faso. Boire à l’amitié et à l’union de luttes contre ceux qui, ici, en France et ailleurs, nous exploitent et nous oppriment. Pour le triomphe de causes justes, pour le triomphe d’une liberté plus grande, pour le triomphe d’un plus grand bonheur.

La patrie ou la mort, nous vaincrons ! Merci.

 

 

 

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